Kristofer Schipper (Rik) a rejoint le monde radieux des Immortels, ce monde auquel ses paroles presque murmurantes, dans la solennelle salle de séminaire de l'EPHE, nous invitaient à rêver. Son envol soudain laisse un vide immense. Plusieurs générations auront été marquées par son éblouissante érudition, l'originalité de son esprit, la richesse de ses intuitions, les audaces de sa pensée, son extraordinaire enseignement sur le taoïsme et le rituel. Avoir eu la chance d'être son élève oriente une vie. Son amitié rare me manquera. En ces temps lointains, il me parla une fois de John Keats, dont sa mort célèbre étrangement, à quelques jours près, celle du poète disparu un 23 février 1821. Un poète avec qui il avait noué une secrète complicité et dont les vers résonnent aujourd'hui comme s'ils nous livraient une énigme...
Before my pen has glean'd my teeming brain,
Before high-piled books, in charact'ry,
Hold like riche garners the full ripen'd grain ;
When I behold, upon the night's starr'd face,
Huge cloudy symbols of a high romance,
I think that I may never live to trace
Their shadows, with the maginc hand of chance ;
And when I feel, fair creature of an hour !
That I shall never look upon thee more,
Never have relish in the faery power
Of unreflecting Love ! —then on the shore
Of the wide world I stand alone, and think.
till Love and Fame to nothingness do sink.
Il est d'autant plus poignant d'entendre ces vers scandés par lui lors d'une interview réalisée il y a quelques années dans la Bibliothèque du Belvédère occidental de l'Université de Fuzhou. Zhuangzi n'aura pas suffi à nous préparer à cet intense chagrin, mais il nous accompagnera pour l'apprivoiser... Mes pensées les plus chaleureuses à Yuan Bingling, Maya, Wendela, Johanna et Esther, dont je garde de précis et merveilleux souvenirs, à toute sa famille, à ses proches, ainsi qu'à tous ceux qui l'aiment.
Sandrine Chenivesse